Sancti Johannis Schola

Ecole du combat médiéval

Entrainements hebdomadaires

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dimanche 20 décembre 2009

Le duel judiciaire, ses causes et déroulement : une illustration de l'éthique guerrière de la fin du XVe

J’ai toujours soutenu qu’une éthique morale régissait l’esprit martial des combattants du Bas Moyen Âge. Tempérons néanmoins : de nombreux facteurs devaient agir sur l’application pratique de cette, ou de ces, éthique. La guerre ne peut tolérer les mêmes comportements entre adversaires que la paix, de même l’attitude envers une personne provenant de la même région différera de celle envers un étranger – les lois régionales étant extrêmement hétérogènes. Admettons enfin la différence, même si le terme choisi est imparfait, de « classe » - à savoir noble ou non, puis les trois ordres reconnu par Duby : laboratores (ceux qui travaillent); oratores (ceux qui prient); bellatores (ceux qui combattent) - ainsi que le sexe des protagonistes, sont autant de facteurs à prendre en compte.
L’extrait que je vous présente ici n’est pas généralisé à tous ces cas de figures mais, comme nous le verrons, à certaines situations bien spécifiques. Il est tiré d’un des manuscrits produits par Hans Talhoffer, un maître d’armes souabe exerçant pendant la seconde moitié du XVe siècle, référencer comme le « Thott 290° » propriété du « Kongelige Bibliotek » à Copenhague et daterait vraisemblablement de 1459.

Voici à présent la traduction de cet extrait, en respectant au mieux la mise en page originale, qui sera suivi de son analyse :

« […] Ici vous trouverez écrit à propos du duel. Ainsi
ce qui est maintenant décréter comme interdit par tous les combattants.
Donc au fil du temps est advenu la coutume des
empereurs, rois, princes et seigneurs, à qui
l’un s’assimile et cherche à émuler, que l’un est
obligé de combattre, spécialement au regard de plusieurs
causes et articles qui sont écrites ci après.
Mais premièrement ceci - Personne n’est joyeusement permis de
tranché ses camarades avec des mots. Celui qui
agirait ainsi et combattrait n’est pas digne
pour batailler car il combattrait de façon indigne.
Alors donc ces causes susmentionnées sont sept,
pour lesquelles un homme a le devoir de combattre :
La première est le meurtre.
La seconde est la trahison.
La troisième est l’hérésie.
La quatrième est l’incitation à la déloyauté envers
son seigneur.
La cinquième est la trahison en temps de troubles ou autre.
La sixième est le mensonge
La septième est l’abus d’une fille ou d’une dame.
Voici pourquoi un homme défi un autre à un duel.
Un tel homme se présentera devant le tribunal et
présentera sa cause de sa propre voix.
Adonc l’accusateur nommera l’homme par
nom de baptême et patronyme. A l’heure appointée
il est juste que celui qui en appel au tribunal
présente sa plainte devant trois juges après l’arrivée
de l’accusé – à moins que l’un ne vienne pas répondre
de lui-même. Mais personne de sensé n’agira ainsi,
car vraiment l’un répondra mieux par [et pour] soi même.

Ensuite l’accusateur prouve que sa cause soit juste et
bonne. Alors l’accusé, autant que
son accusateur, comprendront et de cette façon
le land (pays) aussi. Uniquement après tous les témoignages
sera rendu le verdict.
Ainsi celui qui est défié, il vient seul
devant trois juges pour répondre et obtenir gain de cause.
Ainsi celui qui est défié, il dit qu’il est innocent et répète que les
accusations sont fausses, et donc qu’il
honorerai par la lutte cette affirmation, comme il
est juste et requis par le land (pays) dans lequel
il se trouve, puis lui est donné son temps d’entrainement. Est aussi
décidé que les hommes se battront selon la coutume
dans le land (pays). Ainsi les deux hommes jurent
volontairement de se présenter au tribunal et lutter l’un
contre l’autre – chacun avec environ six semaines de
temps d’entrainement en paix, durant lequel l’un ou les deux
sont bannis si l’un ou l’autre rompt cette paix – ainsi pas
avant l’heure estimée comme juste par le juge
un homme ne rencontrera un autre légalement.
Ainsi un homme est défié en duel par un autre
homme. Celui qui est présenté comme moins bon par l’autre –
peut avec justice rencontrer l’autre s’il le veut ; ou si
cet homme est réputé couard, il se peut que cet homme
ne se présentera pas au combat. Ainsi il parle uniquement en
insultant les nobles qui combattent, et ainsi que son
insulte ne passe pas sans mépris […] »


Il apparaît clairement que pour Talhoffer le recours au duel judiciaire était devenu une pratique coutumière de la royauté et de la noblesse lorsqu’il écrit en ce XVe siècle, et que ce recours était même légitimé dans certains cas.

Talhoffer commence par nous dire clairement qu’aucun homme n’attaquera un camarade avec des mots. Semble-t-il qu’une personne incapable de maitriser sa langue serait également incapable de se maitriser, ainsi que son arme, en combat. Nous percevons clairement que dans la mentalité de l’époque une certaine tempérance était attendue d’un combattant digne de ce nom. Encore un clou dans le cercueil des préjugés brossant le tableau d’un Moyen Âge, « barbare, immoral, décadent, sombre », j’en passe et des meilleures…

Suivent les causes requérant une résolution par un fait d’armes. Nous pouvons donc à juste titre affirmer que ces causes étaient déjà reconnues et codifiées. Nous les étudierons dans l’ordre du texte.

Le meurtre – il est plus que possible que cette notion était plus étroitement définie au Moyen Âge que maintenant car il était entendu qu’il y avait plus de cas dans lequel le meurtre était accepté qu’aujourd’hui. Comprenons plutôt le cas bien spécifique de l’assassinat malicieux, planifié et sans provocation d’un autre être humain.

La trahison – comprenons le fait d’œuvrer activement contre le bien de son pays ou son seigneur, par soulèvement ou autre méfaits.

L’hérésie – également une notion plus explicité à l’époque qu’aujourd’hui. Il semblerait être question ici de pratique allant à l’encontre de, ou reniant, la doctrine catholique. Sans doute les blasphèmes envers Dieu, les saints ou encore la vierge Marie encouraient la même sanction.

L’incitation à la déloyauté – sans doute on pensera en premier à l’incitation à la révolte et autre fomenteur de complot, on comprend aisément que dans des sociétés dont les dirigeants se revendiquent étant les élus de Dieu pour maintenir une rectitude judiciaire et morale sur les hommes jusqu’au jugement Dernier, toute personne visant à renverser cette équilibre d’ordre divine est une menace pour le salut de tous.

La trahison en temps de troubles ou autres - similaire sans aucun doute à la trahison simple traité plus haut. Ici il semblerait clairement qu’une trahison particulière est mise en cause : le fait de livrer des informations de quelque nature que se soit à l’ennemi et ceci en temps de guerre comme en temps de paix.

Le mensonge – pour autant que l’on puisse d’abord prouver le dit mensonge, ce qui serait œuvre d’une autre cour! Il me semble plus cohérent d’interpréter cette cause comme voulant dire « le manquement à la parole donnée ».

L’abus d’une jeune fille ou dame – sans grande imagination il apparait clair qu’ici l’on jette l’anathème sur les violeurs en tous genres. Il est aussi possible que les relations extra-matrimoniales ou adultères soient également concernées par cette sentence.


Il est intéressant, surtout pour l’historien et plus encore l’historien du droit, de voir expliquer étape par étape la procédure judiciaire menant jusqu’au duel. Il est possible que ce déroulement soit la plus « souhaitable» et non la plus courante.
Ajoutons qu'ils est quasiment certain que les armes et la forme du duel variait en fonction de la nature des protagonistes. Les divers manuels de maître Talhoffer nous montrent presque toujours un cas de figure intriguant: le cas d'un homme face à une femme. L'homme est systèmatiquement placé dans un puit lui montant jusqu'à la taille et est armé d'une massue de bois; la femme est libre de se déplacée tout autour du puit et est armée d'une pierre enveloppée dans son voile. Egalement nous voyons souvent le combat entre deux hommes armés de boucliers ovoïdales et parfois en supplément une épée à une main ou une massue de bois. Cette diversité des formes et surtout de l'armement utilisé ne fait que renforcer cette certitude qu'il existait une variation des fromes du duel basée sur la nature et l'origine des protagonistes.

Dans tous les cas il apparait que visiblement Talhoffer partage l’opinion qui devait être celle des dirigeants, bourgmestres et autres représentants de l’autorité : mieux vaut une violence canalisée, codifiée et appliquée dans un cadre contrôlé par l’exécutif qu’une violence sans limites hors de tout contrôle de la justice du pays ou de la ville.